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Le projet de loi simplification impacte le M&A

Présenté mercredi en Conseil des ministres, le texte comprend plusieurs mesures destinées à faciliter les cessions et fusions d’entreprises.

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Par Elise Brocard

Publié le 24 avr. 2024 à 18:01Mis à jour le 26 avr. 2024 à 18:02

Faciliter la vie des entrepreneurs, c’est l’objectif que s’est fixé Bruno Le Maire. Son projet de loi de simplification de la vie des sociétés « vise à rompre avec l’inflation normative et avec la complexité des procédures qui mettent en difficulté les chefs d’entreprise ».

En pratique, le texte comprend une vingtaine de mesures, principalement à l’attention des TPE-PME : suppression des formulaires Cerfa, simplification de la présentation des bulletins de salaire, facilitation de l’accès à la commande publique en ligne… Son examen par le Sénat est prévu à partir du 3 juin.

Parmi cet ensemble « fourre-tout », deux articles concernent plus particulièrement les acteurs du M&A : le rehaussement des seuils de notification des concentrations à l’Autorité de la concurrence et la réduction du délai d’information des salariés lors d’une cession d’entreprise.

Seuil pour les concentrations

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C’est une étape clé pour beaucoup d’entreprises qui souhaitent en racheter d’autres ou fusionner entre elles : obtenir l’aval du gendarme de la concurrence. Pour cela, elles doivent notifier leur projet à l’Autorité avant la conclusion de l’opération. Jusqu’à présent, cette obligation n’intervenait que si le chiffre d’affaires du nouvel ensemble constitué dépassait 150 M€ au niveau mondial et 50 M€ en France. Le projet de loi prévoit de rehausser ces seuils à respectivement 250 M€ et 80 M€. Au sein du secteur de la distribution, qui dispose de seuils spécifiques fixés à 75 M€ et 15 M€, ces derniers devraient passer à 100 M€ et 20 M€.

Objectif affiché par le gouvernement : passer en dessous de la barre des 200 notifications par an et permettre à l’Autorité de se concentrer sur les opérations qui posent de vraies questions en termes de concurrence. En 2022, c’est 284 dossiers de contrôle des concentrations qui ont été étudiés par l’antitrust français, ce qui place la France dans le Top 5 des Etats membres de l’Union européenne où le nombre de contrôles est le plus élevé. « Au-delà de la volonté de simplifier la vie des entreprises, il y a une volonté de neutraliser les effets de l’inflation puisqu’aujourd’hui des opérations sont notifiées alors qu’elles ne l’auraient pas été il y a quelques années », ajoute Julie Catala-Marty, associée responsable de la pratique droit de la concurrence et de la distribution chez Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP).

Selon le ministère de l’Economie, entre 25 et 30 % des deals devraient désormais échapper à une procédure qui, selon son propre aveu, « représente une charge administrative et des frais d’avocat relativement lourds » pour les petites entreprises. Non seulement contraignante, elle a aussi un effet suspensif sur la transaction en cours.

Flou européen

A la phase d’examen, qui peut aller de 25 jours, voire moins pour les cas les plus simples, à 65 jours pour les dossiers les plus problématiques, il faut ajouter une phase de prénotification volontaire. Laquelle peut alors durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Elle ne se conclut d’ailleurs qu’au moment où l’anti-trust considère que le projet de notification est prêt à être formellement soumis. Une procédure longue et complexe au regard du nombre d’interdictions prononcées chaque année : 96 % des opérations de concentration examinées en 2022 ont été autorisées sans condition par l’Autorité française.

L’horizon n’est cependant pas complètement éclairci avec ce projet de loi. « Le rehaussement des seuils va incontestablement dans le sens d’une simplification de la vie des entreprises mais l’équation est bien plus complexe que cela puisqu’elles devront dans le même temps gérer les incertitudes liées à l’application de l’article 22 du règlement sur les concentrations, regrette Julie Catala-Marty. Nous ne savons pas encore si et dans quelle mesure la jurisprudence Illumina-Grail va être remise en cause et si la Commission européenne pourra continuer à examiner des opérations de concentration qui sont sous les seuils nationaux », complète-t-elle.

Depuis le 13 juillet 2022 et l’arrêt rendu par le tribunal de l’UE dans l’affaire Illumina-Grail, une Autorité nationale de concurrence peut en effet renvoyer à la Commission européenne le contrôle d’une opération qui est pourtant sous les seuils de concentration nationaux et européens, et ce conformément à l’article 22 du règlement sur les concentrations. Une jurisprudence cependant remise en cause en mars 2024 par l’avocat général Emiliou, qui propose d’annuler la décision du tribunal. L’incertitude juridique dans laquelle sont plongés les spécialistes de l’antitrust, surtout dans les deals de secteurs stratégiques comme le digital et la pharma, devrait donc encore perdurer jusqu’à la prochaine décision de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne).

Information des salariés

Parallèlement au contrôle des concentrations, le projet de loi prévoit de réduire le délai d’information préalable des salariés dans le cas d’une cession d’entreprise. Instauré depuis 2014 (loi Hamon) et plusieurs fois remodelé, ce dispositif laisse la possibilité aux salariés de s’organiser pour reprendre la société qui les emploie. Il s’applique aux entreprises de moins de 250 salariés réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 € ou dont le total de bilan n’excède pas 43 M€.

Dans le cas plus précis où la société dispose de moins de 50 salariés, l’information doit alors être transmise dans un délai de deux mois avant la conclusion de la vente. Le projet de loi prévoit de le réduire à un mois ainsi que d’abaisser le montant de l’amende civile en cas de non-respect de l’obligation de 2 % à 0,5 % du prix de cession.

Pour l’exécutif, cette actualisation de la loi Hamon résulte d’un constat simple : « Le délai représente une charge administrative importante pour les entreprises, notamment celles de moins de 50 salariés, alors que, dans la pratique, peu de salariés rachètent leur entreprise », selon Bercy.

Observation partagée par les praticiens. « Dans les faits, depuis près de dix ans, je n’ai jamais vu de salariés faire une offre alors même que les propriétaires du fonds de commerce ou de la participation majoritaire du capital de la société les avaient informés conformément à la loi Hamon », commente Camille Cournot, counsel à la tête du département droit social de Moncey Avocats.

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Mais cette dernière se montre plus critique quant au dispositif en lui-même qui, selon elle, « est tout simplement inefficace car appliqué le plus souvent dans des hypothèses de vente où un acquéreur potentiel est déjà connu, c’est-à-dire en particulier lors d’une vente intragroupe ou de la sortie d’un fonds d’investissement au profit d’un nouveau ». « Il faudrait soit supprimer le dispositif actuel, soit plutôt modifier l’esprit du texte pour le réserver à des cas où il n’y a effectivement pas de potentiels repreneurs», ajoute-t-elle. Reste à voir si le ministère de l’Economie et des Finances, qui prévoit d’adopter annuellement des mesures de simplification, reviendra ultérieurement sur le cœur du texte

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